L’opposition dénonce un « recul démocratique » après qu’une majorité de députés ont voté en faveur de la révision constitutionnelle proposée par le pouvoir.

Le militant sénégalais Guy Marius Sagna est arrêté par la police lors d’une manifestation contre la révision de la Constitution, à Dakar, le 4 mai 2019. SEYLLOU / AFP

Les députés sénégalais ont adopté, samedi 4 mai, la révision de la Constitution devant mener à la suppression du poste de premier ministre. Cette initiative du pouvoir est dénoncée par l’opposition et la société civile, deux mois après la réélection du président Macky Sall. Cette révision, qui porte sur une vingtaine d’articles de la Constitution, établit un nouvel équilibre entre les pouvoirs en renforçant le caractère présidentiel du régime sénégalais.

Dans un hémicycle quasi complet, à l’issue d’une séance marathon de neuf heures parfois agitée, 124 députés ont voté pour et seulement sept contre, a annoncé le président de l’Assemblée nationale, Moustapha Niasse, peu après 19 heures. Un vote sans suspense, le pouvoir disposant d’une large majorité au Parlement. Outre la suppression du poste de premier ministre, prévue à brève échéance, l’autre grand changement sera que le président de la République ne pourra plus dissoudre l’Assemblée nationale, laquelle ne pourra plus déposer une motion de censure pour renverser le gouvernement.

Cette réforme n’est pas « politique », mais « uniquement technique et administrative », « l’objectif n’est pas d’accroître les pouvoirs du président de la République », a plaidé devant les députés le ministre de la justice, Malick Sall, face aux critiques de l’opposition. Au pouvoir depuis 2012 et réélu fin février, Macky Sall a promis d’accélérer les transformations de l’économie sénégalaise et entend, par la suppression du poste de premier ministre, mettre fin aux « goulets d’étranglement » en étant « directement au contact avec les niveaux administratifs », selon ses services.

« Il s’agit simplement de supprimer un échelon intermédiaire entre le président et ses ministres », qui lui « rendront compte directement », a estimé le président de la commission des lois, Seydou Diouf (majorité). L’Assemblée nationale pourra continuer d’exercer sa « mission de contrôle », a-t-il expliqué à l’AFP.

« Boulimie de pouvoir »

Macky Sall, qui n’avait pas évoqué cette réforme constitutionnelle pendant sa campagne, avait surpris les Sénégalais en l’annonçant le 6 avril, quatre jours après avoir prêté serment pour son second mandat. Les principaux partis d’opposition s’y sont opposés.

« C’est un recul démocratique. On ne peut pas concentrer tous les pouvoirs sur une seule personne », a déclaré à l’AFP Toussaint Manga, porte-parole du groupe Liberté et Démocratie, formé par les fidèles de l’ex-président Abdoulaye Wade. M. Manga a fustigé la « boulimie de pouvoir » du président Macky Sall et sa volonté de « tout accaparer ». « Lorsqu’on fait une révision constitutionnelle majeure, il est nécessaire de faire un large consensus avec la classe politique et la société civile. Malheureusement, le président de la République a décidé de façon unilatérale », a jugé M. Manga.

« Cette réforme va considérablement changer l’architecture institutionnelle de ce pays » et entraver la faculté du Parlement à exercer « un contrôle effectif de l’action du gouvernement », a dénoncé auprès de l’AFP Déthié Fall, vice-président du parti Rewmi, de l’ancien premier ministre Idrissa Seck. Depuis son arrivée au pouvoir, « Macky Sall a étouffé la démocratie sénégalaise », « ses pratiques s’apparentent à une dictature », a ajouté M. Fall.

Quatre figures de la société civile, qui avaient appelé à manifester contre la révision, ont été arrêtées de façon musclée par la police devant l’Assemblée dans la matinée, a constaté l’AFP. Plusieurs organisations de la société civile avaient appelé à des manifestations devant l’Assemblée, mais les forces de l’ordre avaient bouclé les accès au quartier du Plateau, le centre de Dakar, où toute manifestation est interdite en vertu d’un arrêté ministériel de 2011.

Le Sénégal, qui fait figure de modèle démocratique en Afrique, s’était déjà passé de premier ministre dans les années 1960, sous la présidence de Léopold Sédar Senghor, et au début des années 1980, sous celle d’Abdou Diouf. L’actuel chef du gouvernement, Mahammed Boun Abdallah Dionne, reconduit le 6 avril, doit maintenant préparer la disparition de sa fonction.