CPM Advertising Network

Bakel, une ville chargée d’histoires abandonnée à elle-même

Situé le long du fleuve Sénégal, au milieu de buttes rocheuses, Bakel offre un patrimoine historique riche et varié. Cette ville perdue au fond du Sénégal oriental regorge d’authentiques traces de l’époque coloniale. En la visitant, on découvre de magnifiques sites dignes d’admiration. C’est le cas du Pavillon René Caillé, du Fort de Faidherbe, des trois tours militaires et du cimetière des circoncis qui ont été inscrits en 2003 sur la liste des Monuments historiques et qui se présentent comme un trésor susceptible de sortir cette localité de l’anonymat. Malheureusement, tout cet héritage qui pouvait faire de Bakel une vraie destination du tourisme historique et culturel, est laissé à l’abandon. Et sa disparition pourrait constituer une perte capitale d’une partie de la mémoire collective.

Il est des lieux d’une beauté fantasmagorique et d’une valeur insoupçonnées que le désenchantement conjugué à une certaine indifférence peut rendre invisibles et même plonger dans un anonymat absolu. La ville de Bakel, située à l’extrême-Est du Sénégal, en constitue un exemple parfait. Avec ses multiples collines qui la surplombent et qui font son originalité, cette ville, plusieurs fois centenaire, se dresse telle une carte postale. Le visiteur qui parcourt 850 km en provenance de Dakar, via Saint-Louis, Ourossogui, ou qui se tape 700 km en passant par Tambacounda se laisse envahir par le charme irrésistible de la vue panoramique que lui offre la nature avec des plaines verdoyantes et étendues qui, au lointain horizon, donnent l’impression de toucher le ciel. Dès l’entrée de cette contrée bien dotée par la nature, l’Histoire fait un clin d’œil.

En effet, Bakel fait partie des villes chargées d’histoire. Son passé est marqué par divers événements tumultueux qui ont forgé son histoire. Deuxième ville du Sénégal à une lointaine époque, Bakel est une occupation très ancienne. Fondé entre le 11e et le 13e siècle, Bakel a d’abord appartenu au célèbre empire du Ghana, avant d’être envahi tour à tour par les Malinkés, les Soninkés et les Bambaras.

Cette localité tomba sous la dépendance du pouvoir des Almamys du Boundou, avant de passer aux mains des colonisateurs français en 1819, qui y installèrent une garnison après avoir signé un traité de paix avec le seigneur local. Bakel fut ainsi une étape majeure de la pénétration française à l’intérieur du continent africain. Cette ville qui fut un carrefour incontournable du commerce de la gomme et de l’arachide, vit aujourd’hui sous les affres de l’exclusion et l’indifférence presque totale.
Riche en histoire et en culture, Bakel ruisselle de trésors et comporte plusieurs monuments historiques à visiter impérativement. Du fort Faidherbe, avec ses canons pointés vers le fleuve et la vieille ville, au pavillon René Caillé, en passant par les trois tours de guet, le cimetière des colons. Ces nombreuses bâtisses, témoins de ce glorieux passé, qui se dressent encore dans un défi acharné contre les aléas du temps, peinent et constituent un chantier fertile malheureusement non exploité

Des monuments délabrés

Notre périple nous mène au Fort Faidherbe. Érigé sur une colline surplombant la ville, le Fort a été édifié sous le règne de Faidherbe qui voulut faire de Bakel le principal centre de résistance contre El Hadji Omar Tall. Cet emplacement géostratégique conforte le rôle militaire que Bakel fut appelé à jouer autrefois. Entouré de grandes murailles crénelées le long desquelles figurent encore les meurtrières où, jadis, les soldats plaçaient leurs fusils, le fort équipé de canonnières, a véritablement joué un rôle dans la stabilité de la zone. Démarrés en 1816, les travaux de construction ont été achevés en 1818. « Le fort construit pour rendre plus rentable le commerce sur le fleuve, car Bakel a été pendant longtemps le grand pôle économique de la région du haut fleuve avec surtout le commerce de la gomme et de l’arachide », nous informe l’historien Abdou Khadre Tandia.

Avril 1886. Un point d’histoire non négligeable. C’est à cette date qu’a eu lieu l’attaque du Fort Faidherbe par le marabout soninké Mamadou Lamine Demba Dibassi Dramé. « Le rôle de Bakel était de protéger les traitants (Maurel et Prom, Peyrissac), mais aussi contre les Maures, qui attaquaient de l’autre côté, ainsi que les pulaar. Mamadou Lamine Dramé, venu pour la diffusion de l’Islam, s’est trouvé en face des Français. En 1886, il attaqua le fort et créa une grande confusion. Le marabout et sa troupe sont arrivés à Modinkané un jour de vendredi. Arrêtant le combat pour prier, ils ont été attaqués, par surprise, par les colons qui ont tiré un coup de canon dans la foule, créant une folle débandade. Le marabout a voulu remobiliser ses hommes pour contre attaquer, mais la surprise de l’attaque était telle que tout le monde avait disparu. Il échoua donc et fut chassé hors du Sénégal par l’armée française», rappelle M. Tandia, qui a fait sa thèse sur l’attaque du fort de Bakel. En décembre 1887, le marabout est vaincu et tué par les Français à la bataille de Toubacouta, à la frontière avec la Gambie. Aujourd’hui, la forteresse est encore debout, comme pour narguer le temps. Âgé de près de deux siècles, cet édifice se dresse encore fière de son passé glorieux sur une haute colline, contemplant, dans un silence absolu, la profonde vallée. En face, sur la rive droite, se trouve Gouraye, en Mauritanie. Le Fort de Faidherbe abrite désormais les services de la préfecture.

Un musée à ciel ouvert

Une seule journée ne suffit pas pour connaître la ville de Bakel qui a beaucoup donné sans rien recevoir en retour. Mais le temps étant compté, il fallait mettre les bouchées doubles. Dans cette randonnée, Idrissa Diarra, un directeur d’école à la retraite, accepte de nous servir de guide. Homme de culture, les populations et même les étrangers le connaissent comme étant un grand passionné d’histoire, particulièrement celle de Bakel qu’il se fait un plaisir de partager généreusement avec tout visiteur qui débarque. L’expédition se révèle être un véritable voyage dans le Bakel de l’époque coloniale. Direction pavillon René Caillé. Sous un soleil de plomb, qui darde ses rayons meurtriers, l’accès au site demande du temps et beaucoup d’énergie. Pour notre part, pressés de voir de plus près ce site, nous avons choisi la voiture. Mais impossible d’avancer. On y accède par un dédale de ruelles caillouteuses.

Une fois là haut, on est charmé par la vue pittoresque, les constructions flirtant, parfois, avec la colline, les mosquées… bref, tout Bakel en miniature. Notre guide se prête volontiers au jeu des questions-réponses. Selon M. Diarra, l’explorateur français n’a pas construit ce pavillon. Il n’était que de passage au cours d’un voyage qui devait le mener à la ville légendaire de Tombouctou en 1824. Les gens ont pensé l’honorer en lui donnant le nom de ce pavillon. Ce pavillon est patrimoine de l’Humanité. Il a tour à tour servi d’école, logement au chef d’arrondissement, à l’adjoint du préfet, de gendarmerie. La mairie avait pris quelques initiatives, en transformant, en 1988, cet endroit en un Centre de lecture et d’animation culturelle (Clac). Malheureusement, cette expérience n’a pas marché, faute de lecteurs. Cette bibliothèque a baissé pavillon. Pis, les enfants, insouciants, ont cassé les portes pour voler les livres.

Cette bâtisse, devenue un musée à ciel ouvert, est quotidiennement exposée à l’usure et au délabrement. Ce site fait le bonheur des enfants qui s’y adonnent à leurs jeux de cache-cache, mais aussi aux populations qui viennent y satisfaire leurs besoins naturels. Du fait de ce délaissement déconcertant, il abonde d’ordures et de déchets qui entraînent inéluctablement des odeurs nauséabondes qui étouffent les visiteurs. Le pavillon est laissé à l’abandon et chaque jour qui passe, une partie de son histoire part avec une petite lueur d’espoir quant à sa restauration. Ce qu’il faut, selon M. Diarra, c’est la sécurisation de tous ces lieux emblématiques. « Ce n’est plus pour Bakel, mais pour l’Humanité tout entière. Il faut que l’État prenne bien soin de ces endroits. Et une fois réhabilités, il faut qu’on pense mettre des gardiens pour assurer la sécurité afin qu’il garde leur côté culturel et historique », a-t-il soutenu.

Le Soleil.sn /